Terra Amata

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Une pensée pour la violette (le genre "Viola")

C’est un genre de plantes bien familières que nous mettons à l’honneur. Les violettes et les pensées sont en effet des cosmopolites, bien que surtout présentes dans nos régions tempérées et limitées aux zones montagneuses en régions tropicales.

 

Le genre Viola appartient à la famille des Violacées qui comprend 20 genres et environ 800 espèces réparties dans le monde entier. Il est le seul genre de la famille représenté en Europe avec environ 90 espèces. Pour une identification rapide, retenez qu’il s’agit généralement de petites plantes herbacées à feuilles alternes souvent larges et en cœur à la base. Elles se développent en stolons pour la plupart stériles. Les fleurs sont violettes, jaunes ou blanches, parfois odorantes, irrégulières et de forme caractéristique à 5 pétales arrondis et inégaux. Le fruit forme une capsule à trois valves.

 

Les violettes ont des fleurs dites zygomorphes (du grec ‘zygos’, la paire et ‘morphé’, la forme). C’est-à-dire qu’elles possèdent une symétrie bilatérale. Cette caractéristique est partagée notamment par les orchidées ou encore par les familles des fabacées et des scrofulariacées. Cette disposition s’oppose au caractère actinomorphe pour désigner une symétrie radiale.

 

Violette ou pensée ?

Mais alors, me direz-vous, y a-t-il une différence entre les violettes et les pensées ? Et si oui quelles sont-t-elles ? Il existe bel et bien une différence qui distingue dans le genre Viola une section Melanium pour désigner les Pensées. On ne peut pas parler de sous-genre dans la mesure où les Pensées sont généralement désignées sans distinction des Violettes par le terme générique propre au genre Viola. On peut donc, sans souci d’inexactitude, considérer que les pensées sont des violettes et les désigner comme telles.

Pensées et violettes se distinguent par la forme de la fleur, plus précisément par la disposition de ses pétales :

 

  • Pensées : pétales latéraux dirigés vers le haut

Viola-lutea.jpgViola lutea (Pensée des Vosges)

 

  • Violettes : pétales latéraux dirigés vers le bas

Viola-alba1.jpgViola alba (Violette blanche)

 

La violette dans l’histoire

La violette représente la modestie et l’humilité dans l’iconographie traditionnelle. Bleue, elle témoigne de la fidélité ; blanche, elle évoque le bonheur champêtre. En bouquet, entourée de feuilles, elle symbolise l'amour secret. Elle est également symbole de pureté et d’innocence et les Anciens en décoraient les tombeaux des jeunes vierges. La mythologie raconte que Vénus ne pouvait se résoudre à aimer Vulcain, son époux si laid. Voulant conquérir son épouse, il se couronna un jour de violettes qui embaumaient tellement que Vénus, conquise, accepta enfin de le suivre… L’Ionie a été considérée comme la résidence divine de la violette, là où Jupiter s’éprit de la nymphe Io, ce qui rendit folle de jalousie son épouse Junon. Un jour surpris par cette dernière en compagnie de la nymphe au bord du lac, Jupiter transforma Io en génisse (jeune vache). Junon, jalouse, demanda à Jupiter de lui offrir la génisse. Jupiter la lui offrit. Io errait alors tristement lorsqu’elle vit sortir de terre des petites fleurs qui tournèrent leurs corolles vers elle. Elle reconnut en elles les « pensées » de ses amis venus la consoler. Cela explique le fait que la Pensée est le symbole du souvenir. On peut en outre voir dans la violette un dérivé de Io qui a donné Ion (désignant la violette en grec), viole (viola), puis violet, violette…

 

C’est que la violette est connue depuis la plus haute Antiquité dans le bassin méditerranéen. Les Athéniennes achetaient des bouquets de violettes au coin des rues, dès l’an 400 avant J. C. et les utilisaient en pommades ou tisanes pour leurs vertus médicinales. Les Romains, qui appelaient les violettes odorantes (Viola odorata) « violettes de mars » en raison de la période de leur floraison, n’hésitaient pas à les tresser en couronne sur leur tête pour chasser les migraines. Ses fleurs parfumées se sont perpétuées dans les villas romaines.

 

Au Moyen-Âge, la Viola odorata, était considérée comme une plante magique aphrodisiaque. Ses fleurs mêlées à celles de la Lavandula angustifolia, cousues dans les oreillers, prédisposent à l'amour grâce à leurs effluves sensuels… Elles ont rapidement parsemé les jardins des monastères dès le Moyen-Age. Depuis la Renaissance, on s’est parfumé et poudré à la violette, notamment dans les milieux aristocratiques. Il n’est pas étonnant à ce que l’on retrouve la plante en bonne place dans le potager du roi à Versailles, en bordure des carrés de légumes et, de là, sur les tables du palais…

 

Lors de son retour de l’île d’Elbe, Napoléon Bonaparte a été surnommé « Père La Violette » par ses soldats parce qu’il devait revenir avec les violettes, c’est-à-dire avec le printemps. La fleur fût ensuite le signe de ralliement des bonapartistes durant les Cent-Jours. Cette image de la violette impériale resurgira sous le Second Empire lorsque les palmes académiques adoptent cette couleur en 1866.

 

La fleur est de bonne heure devenue très populaire et l’on créa de nombreuses variétés horticoles. Depuis le milieu du XVIIIe siècle, on cultive la violette à Grasse. En 1900, la Côte d’Azur distille pour la parfumerie quelques 200 tonnes de fleurs de Violette de Parme et 100 tonnes de feuilles. La Parme remplacée peu à peu par la Victoria, disparaît complètement à Grasse en 1932. Dans les années 1970 on traite 300 à 400 tonnes de feuilles. Un kilo de fleurs de Parme représente quelques 4000 corolles. L’Italie possède aussi ses régions de production. San Remo et les hauteurs de Rome, mais aussi Udine, capitale du Tyrol exporte alors sur Vienne, Berlin, la Pologne et la Russie. Les empires austro-hongrois et allemands ont aussi leurs centres à Gorizia (Gorz) et Trieste et sur les ceintures des grandes villes. Les variétés nordiques sont bien adaptées au climat, mais plus tardives que celles du midi. L’émulation est grande et la concurrence très âpre.

 

Viola-parma.jpgLa Violette de parme, une variété de Viola suavis, à fleurs doubles

 

Aujourd’hui de nombreuses villes et territoires utilisent la violette comme symbole. En 1854, arrive à Saint-Jory, près de Toulouse, la Violette de Parme dont la production de qualité de ses habiles jardiniers fera la gloire de la Ville rose au point de l’identifier à la violette. Toute l’Europe jardinière est sous l’emprise de cette fleur. A Toulouse existe une Confrérie de la violette et la fleur est le symbole d’une des récompenses décernée par l’Académie des jeux floraux de Toulouse. En Italie la violette est l’emblème de la ville de Parme. Au Canada, la Viola cucullata  (Violette cucullée) est le symbole du Nouveau-Brunswick. Quant à la Viola sororia (Violette de la Pentecôte), elle est aux Etats-Unis la fleur emblème des Etats du Wisconsin, de Rhode Island, de Illinois, et du New Jersey !

 

La violette est à l’origine du prénom féminin Violette donné depuis le Moyen-âge. A la Révolution française,  le prénom est inclus dans le calendrier républicain en date du 8 ventôse (26 février). Il est dès lors fêté à cette date ou lors du 5 octobre pour la Sainte Fleur, date à laquelle tous les prénoms floraux sont honorés. A noter également que le 17 avril (28 germinal), on instaure un « jour de la Pensée ».

 

Quelques espèces sauvages courantes

En avant-propos, précisons que la plupart des violettes sont inodores. Ce sont les qualités olfactives de la Viola odorata (Violette odorante) et, plus tard, de ses variétés horticoles dont la fameuse violette de Parme qui ont largement répandu la notoriété de cette fleur.

Ce n’est pas par hasard que la Viola odorata est la plus populaire des espèces. Elle forme de jolies colonies dans les bois frais et les haies de toutes nos régions au tout début du printemps. Elle se distingue facilement de la plupart des autres violettes grâce à l'odeur suave et pénétrante de ses fleurs.

 

Viola-odorata1.jpgViola odorata (Violette odorante)

 

Cette petite plante vivace se reconnait facilement à ses feuilles largement ovales, en cœur à la base et munies d’un long pétiole. Ses fleurs se déclinent du blanc au violet intense. Il s’agit bien d’une violette proprement dite caractérisée par ses deux pétales latéraux rapprochés de l’inférieur, muni d’un éperon à la base. Caractéristique qui mérite d’être mentionnée : les fleurs sont stériles ! En vérité, ce sont de petites fleurs verdâtres, cachées sous les feuilles, se développant tardivement et sans s’ouvrir qui assurent la formation des graines.

 

Parmi les autres espèces véritablement parfumées, citons : Viola alba (Violette blanche), plus prédisposée aux régions méridionales (voir photo plus haut), Viola collina (violette des collines), une espèce très rare. Viola mirabilis (Violette admirable), également peu connue, est cantonnée dans l’Est de la France. Elle doit son nom à son mode de fructification : en début de saison, elle est acaule et produit des fleurs stériles. Puis elle développe une tige et produit des fleurs fertiles très discrètes, sans pétales. Elle est de couleur claire et ses feuilles sont larges, souvent disposées en cornets. Citons enfin Viola suavis (Violette suave) aux pétales généralement plus clairs que Viola odorata.

 

Viola-suavis.JPGViola suavis (violette suave)

 

Parmi les autres violettes, il y a l’incontournable Viola reichenbachiana, la fameuse violette des bois, sans doute une des plus courantes avec la Viola riviniana (Violette de rivinus) que l’on trouve dans les sous-bois tempérés du monde entier, sauf sur sols acides. La différence entre ces deux espèces est subtile. On peut notamment se reporter au style (partie allongée du pistil) qui présente chez la Viola reichenbachiana des protubérances plus développées que chez la Viola riviniana, lui donnant un aspect hirsute.

 

Common Dog-violet.jpgViola riviniana (Violette de rivinus), par Sandra Pond.

 

Evoquons les non moins incontournables Pensées :

 

D’abord la Viola tricolor (Pensée sauvage) si recherchée pour la délicatesse de sa fleur. Elle est l’ancêtre de la pensée cultivée. A noter qu’en dehors du continent eurasiatique où on la trouve à peu près partout, elle est présente au Québec où elle y a été introduite, tout comme sa proche parente la Pensée des champs. Contrairement à d’autres violettes, elle n’a pas de rosette de feuilles à la base.

 

Viola_tricolor.JPGViola tricolor (Pensée sauvage)

 

Autre incontournable donc, la Viola arvensis (Pensée des champs) à la fleur banc-jaunâtre. Elle possède des feuilles crénelées (plus de 3 lobes) et peut-être confondue avec des formes petites de Viola tricolor. La distinction peut être extrêmement subtile : il faut pour cela examiner le labellum (petite lèvre) de l'ouverture stigmatique (fente de côté dans le tube que forme le stigmate). Chez Viola tricolor, il est très saillant, formant une lèvre bien visible alors que chez Viola arvensis il est petit ou inexistant.

 

Viola_arvensis.JPGViola arvensis (Pensée des champs)

 

Quelques espèces montagnardes

Mentionnons à présent quelques espèces alpines qui s’apparentent en majorité à la section Melanium, c’est-à-dire aux pensées.

 

Parmi les plus communes dans nos montagnes, la Viola calcarata est familièrement appelée « Pensée des Alpes » ou violette éperonnée, en référence au nom de l’espèce (calcar = éperon). La fleur, qui possède en effet un long éperon caractéristique, peut être violette, blanche, jaune ou le plus souvent panachée (pétales violets, avec la gorge jaune pour le pétale inférieur). Les feuilles sont oblongues et légèrement crénelées. Une souche ancienne se serait différenciée à la fin des glaciations quaternaires donnant naissance à des endémiques, dont la Viola valderia (Violette de Valdieri), endémique du Mercantour-Argentera. La gorge jaune y est plus discrète et les feuilles, pour la plupart entières, sont généralement plus étroites que celles de la Viola calcarata.

 

viola-calcarata.jpgViola calcarata (Pensée des Alpes)

 

Autre espèce que l’on ne trouve que sur silice et facilement identifiable, la Viola biflora (Violette à deux fleurs ou violette jaune), avec ses feuilles en forme de cœur, voire arrondies et plus ou moins crénelées. Les fleurs, jaunes veinées de brun, sont généralement disposées par deux et présentent un long pédoncule.

 

Viola_biflora.JPGViola biflora (Violette à deux fleurs)

 

Enfin citons l’une des plus authentiques montagnardes, la belle Viola argenteria (Violette de l'Argentera), endémique des Alpes du Sud. Les botanistes ont l’air de se disputer sur une distinction de la Viola nummulariifolia (Pensée à feuilles de nummulaires). On la trouve sur les éboulis et rocailles jusqu’à 3000 m d’altitude. Les feuilles sont arrondies ou en cœur et entières. Notez qu’en ce qui concerne l’éperon renfermant le nectar, seuls les insectes ayant une longue trompe peuvent le butiner et procéder à la fécondation. L’arille (enveloppe de la graine, formée à la suite de la fécondation et souvent huileuse) attire les fourmis qui, en perdant des graines, permettent leur dissémination. Voilà un exemple de symbiose et une belle leçon d’écologie.

 

Viola_argenteria.jpgViola argenteria (Violette de l'Argentera)

 

C’est l’occasion de préciser en outre l’utilité écologique des violettes et pensées qui sont des plantes hôtes des chenilles de nombreux papillons.

 

Vertus culinaires

Les fleurs comestibles sont à l’honneur. Effet de mode ou pas, s’il y a dans ce domaine une valeur sûre, c’est bien la violette, en particulier la Viola odorata. Les feuilles de la plupart des espèces, douces et tendres, offrent l’avantage d’être présentes presque toute l’année ; elles peuvent être ajoutées crues aux salades. On les cuit en outre de diverses façons, comme des légumes. Leur texture mucilagineuse les fait préférer en mélange avec d'autres plantes, mais on peut les mettre à profit pour épaissir les soupes, un peu comme avec le tapioca. D’ailleurs, dans le sud des Etats-Unis, les noirs avaient coutume de préparer des soupes épaisses avec les feuilles de violette locales qui leur rappelaient le gombo, une soupe très populaire en Louisiane française.

 

Salade-violettes.jpgSalade aux fleurs de violettes

 

Quant aux fleurs de la Viola odorata, elles étaient jadis couramment employées dans la cuisine à cause de leur parfum subtil et de leurs qualités décoratives. En Angleterre dès le Moyen-Âge, les violettes étaient broyées avec de la crème de riz, des amandes et de la crème pour faire une sorte de « pudding ». Elles n'ont pas leur pareil pour décorer les salades et pour parfumer les desserts. On peut en préparer des "confitures" odorantes, comme il est courant au Proche-Orient avec les pétales de rose. Elles sont confites au sucre, et colorées artificiellement, pour servir de décoration en pâtisserie.

 

Vertus médicinales

Les feuilles et les fleurs de violette sont extrêmement riches en vitamines. Les feuilles contiennent quatre fois plus de vitamine C que les oranges (qui en sont habituellement considérées comme l'une des meilleures sources) et les fleurs trois fois plus. Quant à la vitamine A, les feuilles de violette en sont plus riches que les épinards (soit neuf fois plus que les tomates environ). Elles renferment également des sels minéraux et, de même que les fleurs, une importante proportion de mucilage. Feuilles et fleurs de violette sont adoucissantes, tant pour la peau que pour les muqueuses, et expectorantes. Elles sont excellentes contre la toux et les problèmes pulmonaires. Une couronne de violettes odorantes est censée éloigner la migraine. En tous cas, ça sent bon...

 

Une des plus efficaces est la Viola tricolor (pensée sauvage). Celle-ci possède des vertus médicinales connues depuis des siècles. Ses parties aériennes fleuries recèlent un condensé de principes actifs dus à sa richesse naturelle inégalée en certains constituants chimiques. Ainsi, elle possède de nombreuses propriétés en particulier pour le traitement des affections cutanées et des voies respiratoires. Les parties utilisées de la pensée sauvage sont principalement les parties aériennes fleuries (tiges, feuilles et fleurs). Elle s’utilise à l’état frais ou à l’état sec. Elle représente une bonne plante de drainage de la peau, elle confère santé et vitalité à la peau. Elle est indiquée pour les problèmes de peau : acné ponctué ou juvénile, croûtes de lait, dermatoses infantiles, psoriasis, dartre, eczéma, éruption cutanée et impétigo. Elle est recommandée contre les hémorroïdes et les phlébites, où elle est utilisée en tant qu’anti-inflammatoire. Elle agit aussi directement sur le transit intestinal ; elle est prescrite en cas de constipation fonctionnelle légère et elle favorise une bonne élimination rénale et hépatique des toxines. Elle intervient également dans certain traitement de la toux bénignes, d’allergie, d’asthme…

 

En conclusion

Les violettes et pensées font partie des fleurs les plus familières. Le genre Viola, en dépit de son nom, se distingue par des espèces aux couleurs très variées dont certaines au parfum délicat. Il n’est pas surprenant de voir que la violette demeure très populaire et que de nombreuses variétés se cultivent avec succès. Sachons les apprécier et les reconnaître afin de leur garantir le respect qui leur est dû.

 

 

Blaise Berrut

Viola.reichenbachiana2.jpg



28/02/2015
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