Terra Amata

Terra Amata

Du pétrole inépuisable, écologique et bon marché

« A Tunis, le Dr Jean Laigret vient d’obtenir du pétrole par l’action d’un ferment, le bacille ‘perfringens’ », sur les matières organiques les plus diverses. Cette découverte, qui élucide le problème de la formation du pétrole naturel peut provoquer une révolution économique… ».

 

Cette nouvelle est publiée dans le numéro de Science & Vie de juillet… 1949 ! La revue scientifique publiait alors un article de fond de ce biologiste français intitulé : « Le pétrole de fermentation peut être produit partout ». Ce n’était déjà plus un scoop : Jean Laigret avait fourni deux communications à l’Académie des Sciences le 24 septembre 1945 et le 25 août 1947, cependant que de nombreux journaux (Carrefour, France-Soir, la Dépêche tunisienne, l’Alger républicain…) relayaient l’information. Mais le Dr Laigret voulait éviter trop de tapage afin de parfaire dans la tranquillité ses expériences qui ont été révélées au grand jour lors d’une conférence de presse en 1949[1]. Plus récemment, début 2008, Henri Durrenbach, ingénieur à l’École Supérieure de Chimie de Mulhouse, a évoqué ces travaux de recherche dans la revue l’Ere nouvelle[2], a travers un article déjà paru en 1991[3]. Cet article a été immédiatement relayé par le site http://quanthomme.free.fr[4]

 

C’est encore un Français qui a décidé avec une équipe d’Espagnols de s’inspirer de ce procédé avec nos méthodes actuelles dans la plus parfaite indifférence en France, où l’absence de retentissement dans la sphère politico-économique est aussi stupéfiante que ne l’est l’importance de cette découverte. C’est pourquoi il nous a semblé utile de sauver de l’oubli l’apport potentiel immensément gratifiant du Dr Jean Laigret en vous proposant, sans tomber inutilement dans une surenchère de détails techniques, de retracer les grandes caractéristiques du procédé dont les vertus économiques et écologiques sont avérées.

 

A l’origine de la découverte : le Dr Jean Laigret, l’homme qui a mis au point le vaccin contre la fièvre jaune en 1934

Le Dr Jean Laigret, à l’origine de la découverte du « pétrole de fermentation », n’est pas un obscur chercheur confiné dans son laboratoire, peu s’en faut. Ce médecin et biologiste né à Blois devient, en 1924, l’adjoint au directeur de l’institut Pasteur de Brazzaville alors qu’il est élu membre correspondant de la Société de pathologie exotique (SPE) dont il deviendra plus tard membre titulaire honoraire. En 1927, à peine nommé chef de laboratoire à l’Institut Pasteur de Saigon, il est envoyé en mission à Dakar, où sévit une épidémie de fièvre jaune, afin d’assurer l’hygiène de la ville. Rejoint par deux collègues, ils parviennent à isoler une souche de fièvre jaune qu’ils baptisent « souche française ». En 1928, il assure le secrétariat de la Conférence africaine de la Fièvre jaune et, l’année suivante, il est nommé directeur du laboratoire de Bamako (Mali).

 

Le professeur Jean Laigret

Rentré en France en 1930, il devient moniteur du Cours de microbiologie de l’Institut Pasteur à Paris. Dès 1932, il est appelé à l’Institut Pasteur de Tunis où il devient chef de laboratoire. Il se voit confier la mise au point d’un vaccin antityphtique humain. Entre 1931 et 1934, il travaille sur l’atténuation de la souche de virus amaril (à l’origine de la fièvre jaune) et réussit à la stabiliser par dessiccation au phosphate de soude. C’est alors qu’il effectue sur lui-même les premiers essais de vaccination, puis sur 70 autres personnes afin de démontrer que le sang des vaccinés a acquis une immunité. C’est alors que l’épidémie de fièvre jaune se réveille en Afrique occidentale française. Laigret repart alors en mission à Dakar où il installe un centre de production de vaccins anti-amaril, puis applique à grande échelle et avec succès le vaccin sur la population, en dépit d’un certain nombre de réactions fébriles bénignes.

 

Entre 1935 et 1938, il est successivement chargé de conférences à la chaire d’hygiène, puis à la chaire de bactériologie à la faculté de médecine de Paris et devient lauréat du prix Bréant de l’Académie des Sciences pour son vaccin antiamaril (21 décembre 1936). Il fait partie, avec les Dr Lasnet et Wroczinski de la mission envoyée en Espagne par l’Organisation d’Hygiène de la SDN en vue d’étudier les moyens de prévention des maladies infectieuses dans la population civile, puis afin d’étudier la prophylaxie des maladies épidémiques en Chine.

 

Dès 1940, le Dr Laigret applique sa méthode de vaccination contre le typhus en Tunisie et en Algérie. Révoqué par le gouvernement de Vichy, il est chargé de cours à la faculté de médecine d’Alger alors qu’il est élu correspondant pour la division d’hygiène de l’Académie de Médecine le 3 mars 1942. Volontaire pour reprendre du service à Alger lors du débarquement allié en 1944, il est nommé directeur du Laboratoire central de l’Armée en Afrique du Nord et réintègre l’Institut Pasteur de Tunis en 1945.

 

Dans les années 1950, il est nommé professeur de bactériologie et d’hygiène à la faculté de médecine de Strasbourg avant de prendre sa retraite dans ses terres natales.

 

Un pétrole produit en quelques jours !

Alors qu’il est chargé par le gouvernement, en 1943, d’étudier les bactéries qui interviennent dans la fabrication du gaz de fumier, le Dr Jean Laigret découvre par hasard des effets inattendus de la fermentation anaérobie, c'est-à-dire agissant à l’abri de l’air et de l’oxygène. Cette fermentation est obtenue par le bacille perfringens, très commun dans la nature et déjà bien connu comme ferment destructeur des matières organiques. Après plusieurs expériences effectuées à partir de liquides organiques, il décide de poursuivre ses recherches en partant de corps solides et d’abord des acides gras, en l’occurrence des huiles végétales. Contrairement aux expériences précédentes, la fermentation ne produit pas de méthane mais du gaz carbonique et qu’il se dépose à la surface du milieu fermenté un liquide noir dont l’analyse montra qu’il s’agit d’un pétrole ! Il était démontré scientifiquement que les gisements de pétrole proviennent, de façon pratiquement certaine, de la fermentation anaérobie de matières organiques et que le processus peut être reproduit en laboratoire.

 

Laigret donna ensuite des précisions lors de sa conférence de presse sur les rendements en hydrocarbures obtenus en faisant fermenter divers produits dans son laboratoire. Exemples pour une tonne traitée :

            - Huiles végétales (celles qui ont le meilleur rendement) : 800 litres de pétrole brut et 200 m3 de gaz combustible ;

            - Déchets de viande de cuisine : 450 litres de pétrole brut et 146 m3 de gaz ;

            - Peaux séchées d’oranges et de citrons : 187 litres de pétrole brut et 300 m3 de gaz (dans ce cas, le rendement en gaz combustible est égal à celui d’une houille de qualité supérieure, le pétrole étant fourni en plus !)

            - Fumiers d’animaux (lapin notamment) : 112 litres de pétrole brut et 265 m3 de gaz.

Par ailleurs, il précisa que des prélèvements faits aux divers niveaux des cuves de décantation des égouts de Tunis, il résultait qu’avec une tonne de ces déchets soumis à la fermentation, on obtenait, toujours pour une tonne de produit traité : 185 litres de pétrole brut et 124 m3 de gaz combustible. Mais il faisait remarquer qu’en ce qui concerne ce volume de gaz que la fermentation spontanée des égouts avait éliminé au préalable une quantité inconnue et certainement importante de méthane. A noter enfin que hors du cycle de fermentation au cours des essais sur les feuilles mortes (qui donnent 25 % de leur poids de carbures), s’était produit une résine pouvant constituer un excellent vernis.

 

Il résulte également que la composition moyenne des pétroles bruts obtenus par fermentation des diverses matières organiques est toujours sensiblement la même et semblable à celle des pétroles naturels. En chiffres ronds, établis d’après la moyenne des expériences, cette composition est de :

            - 45 % d’essences de fractions légères ;

            - 45 % d’huiles lourdes constituant le gazole en particulier ;

            - 5 % du pétrole brut se résout en gaz de cracking ;

            - 5 % d’eaux résiduelles fortement ammoniacales (qui peuvent fournir un excellent engrais).

 

Des avantages considérables à tous points de vue

Le pétrole par fermentation anaérobie a un avantage remarquable quant à la simplicité de fabrication : on peut obtenir efficacement et en abondance cet or noir grâce à une bactérie extrêmement répandue à la surface du globe. D’autre part, à l’évidence, la méthode employée présente un intérêt majeur et croissant sur le plan économique et environnemental dans une période de crise pétrolière et de réduction d’émission de gaz à effet de serre. Elle permet ainsi de recycler huiles, gadoues, ordures ou encore une part importante des déchets ménagers.

 

Là encore, il y aurait de nombreuses pistes à explorer et une extraordinaire opportunité d’assainir notre environnement quand on sait qu’une source pléthorique de matières organiques fort encombrantes sont potentiellement recyclables, en particulier dans les grandes agglomérations urbaines. On peut également mentionner l’intérêt que présentent les algues marines en tant que matériau organique, d’autant que celles-ci contiennent de l’iode dont la présence favorise le processus de fermentation.

 

D’autre part, il est évident que le procédé nous épargne l’incidence des frais et des nuisances considérables engendrés par la recherche de gisements pétroliers, les forages et, dans une large mesure, le transport. L’investissement pour l’établissement d’une production industrielle où se réaliseraient les fermentations serait inférieur.

 

Enfin, comme l’a souligné le Pr Henri Durrenbach, dans la mesure où tous les déchets fermentescibles sont susceptibles d’être utilisés, il serait opportun de rémunérer au poids les apports, spontanés ou organisés vers les centrales de fermentation, ce qui aurait une incidence vertueuse sur les diverses formes de gaspillage et notamment la disparition des décharges sauvages…

 

Le procédé mis en application : l’exemple de la société BFS

 Le procédé de fabrication de pétrole par fermentation a inspiré certains chercheurs, mais il apparaît clairement que le puissant lobby de la filière du pétrole abiotique fait tout pour marginaliser les tentatives les plus convaincantes. Pour autant, certains entrepreneurs ont le mérite d’agir contre vents et marées.

 

La France étant particulièrement réticente aux innovations, citons le cas emblématique de cet ingénieur français qui a dû s’expatrier en Espagne pour rejoindre une équipe espagnole afin de mettre au point le procédé, largement inspiré des expériences de Laigret, et installer une usine pilote à Alicante. Il a créé sa société en brevetant procédé de synthèse qui s’inspire du processus naturel. Il utilise des éléments comme l’énergie solaire (comme source principale d’énergie), la photosynthèse et les champs électromagnétiques associés aux propriétés organiques du phytoplancton (micro-algues marines) pour convertir le CO2 issu des émissions industrielles, en une biomasse puis en un pétrole artificiel similaire au pétrole fossile, sans soufre et sans métaux lourds, en quelque sorte un pétrole propre. Ainsi, la culture intensive des micro-algues et l’absorption massive du CO2 s’opère en milieu fermé et dans des photobioréacteurs verticaux pour une optimisation des surfaces d’implantation, un meilleur contrôle des propriétés physico-chimiques du milieu d’élevage et une rentabilité optimale. Alors que le pétrole d’origine fossile a nécessité des millions d’années pour se former à la suite d’un long et complexe processus de sédimentation, deux jours suffisent à produire le pétrole de la sociéré Bio Fuel Systems (BFS). Il faut en effet près de 24 heures pour obtenir le gisement de biomasse et autant pour en extraire le pétrole par voie thermochimique.

 

Vue aérienne de la première usine pilote BFS à Alicante.

 

Et ça marche ! L’usine pilote BFS d’Alicante est pleinement opérationnelle depuis mars 2011. Elle est capable, par hectare équipé et par an, d’absorber 12.000 tonnes de CO2 et de produire 5.500 barils de pétrole voire, selon l'option retenue, 0.45 Mégawatts d’électricité par heure (le CO2 capté peut être transformé en électricité grâce à des turbines ou des Moteurs de Combustion Internes). Aujourd’hui, vingt brevets protègent le procédé de conversion conçu par BFS (sélection des souches de microalgues à haut potentiel, stimulation du processus de croissance et de démultiplication des microalgues, métabolisme et concentration énergétique). Outre le site d’Alicante, quatre autres projets industriels ont été initiés sur l’île de Madère (Portugal), à Rotterdam (Pays-Bas), à Leipzig (Allemagne) et à Venise (Italie).

 

Conclusion

Nous avons depuis longtemps des solutions alternatives à la consommation de pétrole fossile. Dès les années 1920, on évoquait l’offensive des pétroliers contre les carburants de remplacement. En 1935, un certain lord Bearsted, fondateur de Shell, avait adressé un cynique avertissement aux gouvernements étrangers qui, « désireux d’atteindre une prétendue indépendance économique engageaient des dépenses pour construire des raffineries, mêmes lorsque celles-ci ne disposent pas de ressources en pétrole brut »[5]. C’est dans ce contexte que les découvertes sensationnelles du Pr Laigret ont été largement ignorées, a fortiori par la France qui s’est rapidement couchée devant les trusts anglo-saxons.

 

Des intérêts très fortement ancrés poussent à ne pas renoncer au pétrole fossile tant que les gisements ne seront pas totalement épuisés. Dans ce contexte, encore une fois, les initiatives alternatives paraissent vaines, mais étant donné qu’elles existent avec des conséquences bien plus vertueuses, aussi bien en termes économiques qu’environnementaux, on voit bien que le pétrole est aujourd’hui une matière avant tout « politique ». Si bien que la révolution énergétique se fera moins par les moyens que par la volonté et le courage.

 

 

Blaise BERRUT



[1] La Dépêche Tunisienne du samedi 30 avril 1949, p.2.

[2] N°182 de janvier-février 2008

[3] Localement votre magazine, aujourd’hui disparu.

[4] http://quanthomme.free.fr/qhsuite/Makhonine/LaigretJeanPetroleFermentation.htm

[5] Cf. Pierre Fontaine : « La Guerre secrète du pétrole » écrit au début des années 1960.



20/04/2013
1 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 12 autres membres